Féminisme, laïcité, religion (Saba Mahmoud)

Ce semestre, en anthropologie des religions (EPHE/EHESS), je travaille sur un ouvrage s’intitulant « Politique de la piété, le féminisme à l’épreuve du renouveau islamique », par l’anthropologue récemment décédée, Saba Mahmoud. Trouvant l’avant-propos tout à fait délicieux et pertinent, je me permet de le retranscrire ici, pour engager avec vous une réflexion, ainsi que de vous encourager à le lire.

« La raison pour laquelle les membres de la gauche progressiste ont eu tant de mal à reconnaitre ces aspects des mouvements de renouveau islamique tient, je pense, en partie à notre profond malaise devant toute forme d’intervention de la religion hors de l’espace privé de la croyance individuelle. pour ceux qui ont sensibilité laïque et progressiste bien ancrée, la moindre irruption de la religion dans la sphère publique est souvent vécue comme un affront dangereux, qui menace de nous assujettir à une moralité normative dicté par les mollah et les prêtres. Cette peur est liée à al conviction profonde de la valeur de l’imaginaire lait et progressiste, qui tient pour certain que les formes de vie qu’il offre sont la meilleure voie de sortie pour les âmes ignorantes, égares par les espoirs que les dieux et prophètes leur concèdent.

Il me faut sans doute, faute de place, passer rapidement sur un certain nombre de détails complexe. Mais ce dont je tiens à témoigner, c’est de la profonde frustration que j’en étais venue à éprouver face à mon incapacité – et inversement, face à la capacité de ceux avec qui j’avais été liée pendant un long moment dans une même lutte politique – à comprendre comment le langage de l’islam en était venu à exprimer les aspirations de tant de gens dans le monde musulman. Je commençai à remettre en question la conviction qui avait la notre, aussi bien intentionnée tutelle, que les autres formes d’accomplissement humains et d’univers de vie étaient nécessairement inférieures aux solutions que nous avions élaborées sous la bannières de la politique « laïque de gauche ». Comme si une même vision nous rassemblait sous cette bannière, ou comme si la politique edont nous nous revendiquions si fièrement n’avait pas elle même produit des drames effroyables. Cette remise en question ne signifie pas que j’aie cessé de lutter et de me battre contre les injustices – qu’elles concernent le genre, l’ethnicité, la classe, la sexualité – qui sont au coeur de mon existence sociale. Mais je crois désormais qu’un certain degré d’auto-analyse et de scepticisme par rapport à ma certitude de mes propres engagements politiques est essentiel quand il s’agit de tenter de comprendre la vie de ceux qui ne partagent pas nécessairement ces engagements.

Il ne s’agit pas là d’un exercice de générosité, mais du sentiment que nous ne pouvons plus présupposer avec arrogance que les formes de vie et les énoncés du sécularisée progressiste épuisent nécessairement les façons de donner sens à sa vie et de vivre de façon accomplie dans le monde. En prendre conscience m’a conduite à considérer ma propre certitude politique sur les motivations de certains courants du mouvement islamiste comme l’effet d’une forme de provincialisme intellectuel. cela m’a forcée à refuser de prendre mon positionnement politique comme le critère nécessaire d’analyse de ce mouvement. Bref, cela m’a poussée à laisser ouverte la possibilité que mon analyse en vienne à remettre en question la conception de l’accomplissement humain qui m’avait tant tenu à coeur et quia fait constitué le pilier de ma propre existence. »

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